Un champ d'action étroit à un moment décisif de son histoire
Ne nous y trompons pas : le rebond de 60% des revenus des agriculteurs en 2010 constitue à peine un rattrapage après des années 2008 et 2009 catastrophiques. Sur ces deux ans, le revenu moyen des exploitations professionnelles a été divisé par deux, pour atteindre 24 400 € en moyenne par an. Conséquence, l’endettement ne cesse de grimper et dépasse désormais 50% des revenus.
Ne nous y trompons pas : le rebond de 60% des revenus des agriculteurs en 2010 constitue à peine un rattrapage après des années 2008 et 2009 catastrophiques. Sur ces deux ans, le revenu moyen des exploitations professionnelles a été divisé par deux, pour atteindre 24 400 € en moyenne par an. Conséquence, l’endettement ne cesse de grimper et dépasse désormais 50% des revenus.
D’où une inquiétude grandissante au moment où se profile
la réforme de la politique agricole commune en 2013.
Car l’Europe, qui
distribue 55 Milliards d’euros d’aides annuelles-plus d’un tiers du budget de
l’Union Européenne-, devra se montrer beaucoup moins généreuse. Même si l’enveloppe
était maintenue (ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas), l’entrée des
douze nouveaux pays dans l’Union entre 2004 et 2007 empêchera de maintenir les
niveaux de subventions actuels.
La France doit pourtant, coûte que coûte, soutenir son
agriculture, cruciale pour son industrie, ses recettes à l’exportation mais
aussi pour l’aménagement du territoire et le maintien de la ruralité, "mamelle
et pilier de la société Française".
Quelques
réalités de l’agriculture en France :
- Plus de la moitié des 55 millions d’hectares du
territoire national sont cultivés. Divisés en 350 000 exploitations
agricoles, dont 195 000 de plus de 50 hectares, ils emploient 3,3% de la
population active française ; 80% sont les chefs d’exploitation et les
membres de leur famille, 70% ont un revenu inférieur au SMIC.
- La production agricole française est organisée de la
manière suivante : 60% végétale, 40% animale.
- Alors que la part de la production agricole dans le PIB
français est de 1,4%, les exportations de produits agro-alimentaires représentent
11% du total des exportations
françaises.
- 23% de la production agricole européenne est assurée par
la France.
- Un
agriculteur français exploite 36 hectares en moyenne contre 29 ha en 2000.On
arrive même à 96 ha dans les moyennes et grandes exploitations spécialisées
dans les céréales et les oléoprotéagineux (contre 78 ha en 2000) tandis que les
exploitations laitières comptent 26 vaches en moyenne, contre 20 en 2000.
- Plus
de 50% des revenus : C’est l’endettement des
exploitations, qui ne cesse de grimper. Il peut atteindre jusqu’à
223 000 € pour un éleveur de porcs.
- 400 agriculteurs au moins se suicident chaque année,
trois fois plus en proportion que des cadres.
- 8 Milliards d’euros . C’est l’excédent des échanges
agro-alimentaires français en 2010. C’est notre deuxième excédent commercial derrière l’aéronautique.
La
France, puissance agricole du 20 siècle, « mère nourricière de l’Europe et
modèle paysan et rural »pour tous, possède une des agricultures les plus
efficaces au monde :
- Des
terroirs variés et fertiles, des rendements de céréales à l’hectare les plus
élevés au monde, des animaux d’élevage parmi les plus productifs, une industrie
aval (agro-alimentaire,…) performante et agressive à l’export, des productions de
qualité supérieure, des experts pointus (ingénieurs agronomes, chercheurs,…) et
enfin une influence culturelle et politique « agricole » unique au
monde (rôle de l’électorat paysan, syndicalisme encore puissant, attachement au territoire,…).
Mais
dans le même temps cette agriculture est devenue depuis 20 ans extrêmement
fragile :
Longtemps premier exportateur européen et
deuxième exportateur mondial derrière les USA, la France a vu sa part dans les
exportations mondiales agroalimentaires passer de 9% en 1990 à 4,5 %
aujourd’hui, alors que celle de l’Allemagne augmentait de 5,5% à 7 % et celle
du Brésil de 2,3 à 6.
Le recul face à nos voisins allemands est
impressionnant. Depuis 2000, l’Allemagne a doublé ses exportations agricoles
notamment en viande et en produits laitiers ; alors que celles de la
France n’augmentaient que de 12%. L’Allemagne produit deux fois plus de porcs
et exporte trois fois plus de lait que la France.
Les raisons de ce déclin sont variées :
- L’investissement agricole, y compris dans la recherche
et le développement est bien plus bas en France qu’en Allemagne, en particulier
en raison du refus d’utiliser des OGM.
- Elle est fortement dépendante de l’extérieur :
énergie, pesticides mais aussi soja,…
- Elle reste encore trop fondée sur des organisations
d’exploitations individuelles classiques et reste très en retard par rapport
aux nouveaux groupes grands capitalistes-coopératifs financiers spécialisés
(Allemagne, Scandinavie) qui contrôlent l'intégralité des filières: par une maitrise et une rationalisation qualitative de la ressource, par une politique de recherche active, par une approche
financière moderne (holding de contrôle des entreprises de transformation,…) et une optique commerciale agressive (marques puissantes vers les consommateurs finaux).
- Elle ne parvient pas à gérer une Europe qui donne trois
injonctions contradictoires aux agriculteurs : pour les prix, alignement
sur les moins-disant mondiaux ; pour l’environnement, le terrain de jeu
reste l’Europe avec des normes supérieures et plus exigeantes que celles en
vigueur sur le reste de la planète ; et la politique sociale qui elle reste
nationale avec un État au bord de la faillite et un pouvoir d’achat paysan en
chute libre.
- Le droit du travail est beaucoup plus accommodant en
Allemagne qu’en France : notre voisin applique la directive Bolkenstein
qui permet d’employer des ouvriers d’autres pays de l’Union en les payant au
salaire en vigueur chez eux : les Allemands par exemple font travailler dans
leurs abattoirs des Bulgares aux salaires Bulgares, et les Espagnols dans leurs
plantations des Marocains aux salaires Marocains, ce qu’on s’honore de ne pas
pratiquer en France.
On ne peut pas impunément changer d’échelle ainsi pour une
même activité, il faut donc payer si on veut
la fois des prix mondiaux, un environnement européen et des salaires
Français.
- Enfin, son rapport avec la population est ambigu :
les urbains aiment incontestablement leurs paysans mais ils considèrent qu’ils
sont râleurs, qu’ils polluent, qu’ils sont conservateurs et rétifs au
changement, prompts à manifester grâce à des organisations syndicales à l’importante capacité de
mobilisation. La réalité, pourtant c’est que l’agriculture, au nom d’une mode
verte démagogique est la grande perdante du Grenelle de l’Environnement,
victime notamment des arbitrages rendus au profit du nucléaire et de
l’incinération des déchets radioactifs.
En outre, les Français ont une vision pastorale de
l’agriculture ; c’est la seule activité économique ou l’on veut continuer
à faire « comme « avant ». Les nouvelles technologies agricoles
sont donc réputées par nature suspectes. L’exemple des OGM est éloquent :
la très grande majorité des Français sont contre, alors qu’il y plus de 14
millions d’agriculteurs qui cultivent les OGM dans le monde, plus qu’il n’y a
d’agriculteurs dans toute l’Europe, et jusqu’à présent pas un seul mort.
Quels
sont les 6 défis que l’agriculture française va avoir à relever demain ?
Au regard de tous les enjeux qu'elle doit affronter, l’agriculture est le secteur de l'économie Française le plus exposé au changement :
Le défi alimentaire :
- Un enjeu quantitatif qui consiste à nourrir 9 milliards
de personnes.
- Un enjeu
qualitatif pour proposer une offre de qualité à la fois sanitaire, nutritionnelle, gustative.
Le défi économique :
- Une capacité d’adaptation et d’anticipation des
fluctuations et de la volatilité des marchés.
- La préparation à la fin du tout pétrole et la définition du post-pétrole
par une politique de recherche active.
Le défi environnemental :
- La protection de la vie humaine et des ressources naturelles.
- L’atténuation du
changement climatique, la baisse de la bio diversité couplée à la
multiplication des épidémies.
Le défi géostratégique :
- La protection de
l’autosuffisance agro-alimentaire du pays.
- L’exportation d’une filière puissante à
l’internationale, arme commerciale et politique redoutable
dans la mondialisation agricole de
demain.
Le défi politique et social :
- Le maintien de l’’influence
des Agriculteurs Français dans l’Europe.
- Le rééquilibrage
du partage de la valeur ajoutée entre les agriculteurs, la transformation
et la grande distribution.
Le défi sociétal :
- La promotion le
rôle majeur de l’agriculteur dans la société et l'assurance d'un minimum de
protection et de garantie pour les plus fragiles ou démunis.
- La contribution à l’augmentation du revenu des agriculteurs, le soutien
ainsi que la préservation et le développement de la ruralité pour une nouvelle
identité paysanne.
Que faut-il attendre de la réforme de la politique agricole commune ?
Le projet de réforme de la PAC (Politique agricole
commune) comporte deux volets principaux :
- Un volet vert, dans lequel une part du montant des aides
directes sera en partie conditionnée à des pratiques protectrices de
l’environnement. En outre cette PAC est censée devenir plus équitable via un
plafonnement des aides aux grandes exploitations et l’instauration d’un niveau
minimum garanti pour soutenir les plus petites exploitations
- Le
projet en revanche n’apporte aucune amélioration quant aux instruments
d’intervention sur les marchés, notamment les achats et les stockages de
produits pour réguler la volatilité des cours. Il traite de la même manière le
blé, le lait, la viande ou le sucre, ce qui est totalement inapproprié.
La
commission reste sur l’idée que c’est au marché de réguler et aux filières de
s’adapter.
Mais laisser jouer le marché n’est pas nécessairement le meilleur
moyen d’assurer une agriculture durable, compétitive et respectueuse de
l’environnement et de la bio diversité, surtout quand on connait la fragilité
des exploitations Françaises.
Les Agriculteurs ne peuvent pas aujourd’hui se
trouver en choc frontal avec les
événements de marché.
Aucune exploitation ne peut vivre durablement quand elle
ne sait pas à quel prix elle va vendre à l’horizon de 15 mois, voire quand en
l’espace de trois mois un prix peut passer de 100 € à 220€, et deux mois
retomber à 75.
Enfin, jouer le marché ne peut que s’appliquer que si les autres
partenaires mondiaux jouent aussi le jeu (c’est loin d’être le cas des USA, des
pays émergents qui continuent à avoir des droits de douane prohibitifs et à
subventionner lourdement l’exportation de leurs agriculteurs).
La
grande conclusion de cette réforme, c’est qu’elle marque la fin de la gestion
des marchés agricoles par Bruxelles, qui fixait les prix. C’est une page qui se
tourne dans l’histoire de l’Europe et une nouvelle aventure libérale et
« mondialisée » qui commence.
Quels
grands tournants vont devoir prendre l’agriculture française pour s’adapter à
la nouvelle donne mondiale et locale ?
Avant, il y avait d’un côté les productivistes, qui
récoltaient de gros volumes avec beaucoup de produits chimiques, et de l’autre
ceux qui jouaient la carte verte, mais produisaient moins. Mais avec les
progrès scientifiques, les nouvelles réglementations, les attentes de qualité
et de traçabilité des consommateurs et les besoins d’une production
qualitative, respectueuse de l’environnement et de la bio-diversité,
l’agriculture va devoir rentrer dans une nouvelle ère.
Pour
répondre à ces nouvelles donnes, l’agriculture Française va devoir opérer une
révolution technologique pour devenir une agriculture « écologiquement
intensive » ou à « haute intensité environnementale ».
Il faudra se préparer à produire plus avec
moins de chimie, grâce à la biologie, ce qui va imposer des méthodes
écologiquement intensives qui minimiseront les quantités d’intrants,
permettront une meilleure gestion de l’eau et une optimisation des sols. Ces
techniques exigeront
pour être développées de la très haute intensité intellectuelle.
Ces
défis vont signer le grand retour des agronomes, qui avaient abandonné le
terrain, beaucoup trop laissé aux chimistes.
La
France dispose d’un autre atout majeur : une filière agro-alimentaire
puissante qui pourrait vite devenir une redoutable machine à exporter et à
créer. Avec tous ses atouts, la France pourra exporter demain non seulement et se nourrir elle-même,
mais aussi servir l’Europe du Nord et le bassin méditerranéen jusqu’au
Moyen-Orient avec des pays comme l’Egypte ou l’Algérie, par exemple, qui sont
parmi les plus gros importateurs de céréales du monde.
Encore faudrait-il
sortir des débats stériles qui gênent le
développement des biotechnologies, donc des OGM.
Quelles seraient les premières solutions possibles ?
La difficulté de l’exercice consiste à concilier d’une
part les réponses d’urgence avec des mesures structurelles à plus moyen et long
terme et d’autre part à défendre notre spécificité rurale nationale dans un cadre Européen et Mondial, libéralisé :
Une refléxion pourrait être engagée autour des axes suivants :
Une refléxion pourrait être engagée autour des axes suivants :
- Soutenir une recherche
décentralisée sur l’agriculture écologiquement intensive, en étroite liaison
avec les agriculteurs et leurs organisations, encouragés à expérimenter et à innover dans le respect des normes environnementales.
- Reconstituer des stocks,
européens et mondiaux, en particulier de céréales, pour réguler les
fluctuations des marchés mondiaux et se prémunir contre d’inévitables pénuries
mondiales.
- Etablir l'entrée de toutes les
aides directes françaises et européennes dans un guichet unique, et dans une
logique contractuelle, exploitation par exploitation.
- Promouvoir la logique
contractuelle, notamment pour le lait et les fruits et légumes.
- Encourager les logiques de
regroupement coopératifs, modèle à la fois equitable et rémunérateur pour
l’agriculteur et compétitif sur les marchés.
- Relancer le dossier de
l’installation des jeunes agriculteurs (ou reprise des exploitations) pour
créer une dynamique positive du métier auprès des jeunes avec un vrai programme
volontariste d’aide (New Deal de la jeune agriculture).
- Revoir vraiment le partage
de la valeur entre les agriculteurs, les transformateurs et la grande
distribution, pour que le dernier maillon ne tire pas systématiquement la
couverture à lui, fragilisant de plus en plus les deux autres, et encourager la
constitution d’organisations suffisamment fortes dans l’agriculture, qui
puissent faire poids.
- Mieux expliquer à la population par une campagne de communication que ce n’est pas
parce qu’on mange aujourd’hui correctement et suffisamment en France qu’on
mangera assez demain, dans un monde de pénuries, et que le soutien aux
agriculteurs, avec des exigences de pratiques environnementales, reste
indispensable au 21 siècle.
- Faire découvrir à la population urbaine, dès son plus jeune âge, la réalité agricole française, en instituant dans le
cursus scolaire la" journée de la terre" qui serait la visite d'une exploitation agricole: un rendez vous annuel adapté aux enfants avec une
description ludique de l’activité et la remise d’un élément symbolique (diplôme,
produit de la ferme,...).